Interview : La crise est salvatrice et salutaire dans le monde arabe?

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Interview : La crise est salvatrice et salutaire dans le monde arabe?

Dernière mise à jour :

Pr Abdellatif Alexandre FEKKAK. Le Maghreb est non seulement perçu comme une nécessité politique, mais il est devenu aujourd’hui un impératif pour une intégration économique face à la mondialisation. Le Pr. Abdellatif FEKKAK, conférencier de renom, a accepté de partager son point de vue sur les tendances socio-économiques et politiques qui se dessinent au Maroc ainsi que les principales leçons à en tirer.

Pr. Abdellatif Fekkak./Karim Alaoui

Pr. Alexander Abdellatif Fekkak./ photo Karim Alaoui

Quelles leçons tirez-vous du printemps arabe en général et de la crise sociale marocaine en particulier?

La première leçon est que les partis politiques sont complètement dépassés. Le mouvement des jeunes du 20 février est né par ce que l’on appelle désormais la “e-révolution”. Sans structures préalables, ces jeunes arrivent sur la place, demandent les modifications et persistent, car un certain nombre de valeurs qui sont apportées par la mondialisation et dont ils ont besoin, ne sont pas appliquées.

La mondialisation n’a pas de frontières culturelles, économiques, politiques, ce qui fait qu’elle entre dans nos maisons, casse et bouleverse tout… Toutes les sociétés qui sont capables de s’adapter à la nouvelle démocratisation des régimes sont les bienvenues, celles qui n’en sont pas capables sont vouées à disparaître, comme on l’a vu en Tunisie ou en Égypte. “La crise est salvatrice et salutaire dans le monde arabe, car elle remue le cocotier, elle remue les Etats qui ne représentent plus les sociétés.”

Le deuxième leçon à retenir est que ces jeunes ne demandent ni pain, ni richesses, mais plutôt le partage des pouvoirs et de la dignité. Nous revenons donc à la révolution française de 1789 qui nous a essentiellement appris qu’il n’y a pas un chromosome sorti de la cuisse de Jupiter, ou un spermatozoïde qui est considéré comme un prophète intouchable, ce n’est plus acceptable.

Quelles sont les valeurs socio-économiques véhiculées par la mondialisation dont le Maroc a besoin aujourd’hui?

Ce sont principalement des valeurs de bonne gouvernance. Sur le plan économique, il faut une autonomie de type administratif, surtout dans l’éducation et la finance. Il faut que les hauts fonctionnaires “raisonnent à gauche” et “gèrent à droite”. Ce qui leur permettra de gérer le public avec l’esprit entrepreneurial du privé.

Ce qui me ramène d’ailleurs à un point très important, le partenariat entre le Public et le Privé, le partenariat entre l’Etat et la société. Regardez un peu les Etats-Unis, dans les années 1960 la société était extrêmement raciste, 40 ans après c’est un Noir qui gère le pays. “Ici vous avez des gens qui sont encore ministre à 80 ans, parce que notre société est encore très peu vertébrée.”

Un autre point qui me semble important, c’est la régionalisation avancée. On a la possibilité de faire des régions autonomes capables de créer de la richesse au lieu de rester en état de cadavre qui a besoin du bouche à bouche financier de l’Etat, et surtout, rentrer dans une logique de compétitivité et de concurrence par rapport aux autres régions pour savoir vendre ses avantages comparatifs.

Je pense enfin à plus de transparence économique. Au Maroc, vous avez pratiquement 160 sociétés qui font 80% du chiffre d’affaires, le reste c’est du folklore: plus de 8.000 sociétés bataillent sur un mouchoir de poche de 20%.

Quelles perspectives pour le Maroc?

Tant qu’on aura 52% de la même famille et du même quartier qui se retrouve dans le gouvernement et dans les postes clés, le Maroc ne peut pas espérer de meilleurs jours. Tant que le Parlement restera composé de 71% d’illettrés (contre 69% en Algérie et 59% en Tunisie), comment voulez-vous que les gens édifient le sanctuaire de la Loi? Je pense que tout va s’effacer avec une mondialisation sans frontières. Les jeunes ont besoin d’une société de confiance, de transparence, de méritocratie et de civisme.

Carte de visite : Conférencier spécialisé dans les questions géostratégiques, Pr Abdellatif Fekkak qui, est auteur de 11 livres a enseigné en France (Paris IX Dauphine 85), en Espagne à EAMS ( Grenade 96), aux USA ( à l’université de Georgetown DC en 2003 à 2006) et durant 30 ans ( à son port d’attache universitaire à L’ISCAE ( l’Institut Supérieur de Commerce et d’Administration des Entreprises). Il est également Secrétaire Général du “Maghreb +”, Directeur Pédagogique et de Recherche à GEM+ (la Grande Ecole de Management) et détenteur de trois doctorats (Sciences Politiques de Paris X Nanterre/EHESS 76, Doctorat de Sciences de Gestion de L’université de Paris IX Dauphine 85 et un Doctorat d’Etat en Sciences de Gestion de l’Université de Hassan II Casa Ain Chock 99).

Hayin Fadi, jouranaliste Aufait