Interview Pr A. FEKKAK : Analyse statistique des résultats des élections communales 2009

0
628

Interview : Analyse statistiques des résultats des élections communales ne sont pas surprenants    avec Pr. A. FEKKAK

Le Reporter (N°513 du 18.06.2009)
Question Le Reporter:  Aviez-vous été surpris par les résultats annoncés ?
       Oui, je fus très surpris, voire étonné des 82% de l’électorat ayant retiré la carte d’électeur. Mais il n’y eu que 47,6% d’absentéistes. On s’attendait à pire, vu les signes avant-coureurs d’une campagne électorale trop peu mobilisatrice, tiède par ses thèmes, morose par le profil intellectuel des éligibles, trop peu inventive, trop peu porteuse sur les projets de société, sur la propreté, sur les bidon-villes, sur « la ruralisation des villes», sur le taux d’échec scolaire, sur le positionnement et le marketing des villes, sur les projets de la nouvelle configuration régionale de 16 à 8 régions, etc.
        Aucun parti politique n’a parlé, en dehors de la présentation des candidats au profil d’instruction relativement bas, du découpage économique et non politique ou des régions viables et compétitives. Aucun n’a évoqué l’Etat de droit et de passe-droit, le respect du code de la route, les impôts locaux et d’habitation, les projets d’utilisation des recettes de la TVA, l’éthique politique des candidats, la transparence économique des communes, la bonne gouvernance des biens publics…
       Ce ne fut pas du « marketing politique », mais plutôt du Maroc-keting bancal des SPF (Sans Parti Fixe) classique des candidats, sans diplôme, qui font de la politique publique une profession locale, à la recherche des opportunités politiques de se placer avec la « starisation » du PAM. Les différents partis politiques d’ailleurs n’ont récolté que les candidats SPF qu’ils méritent.
       Ce qui risque de donner au Maroc une  »Démocratie sans peuple », sans éthique politi- que de candidats, sans conscience politique des électeurs, sans transparence économique, sans respect des règles et normes politiques des candidats folkloriques, sans valeur ajoutée pour la démocratie à la marocaine, sans groupement stratégique de taille pour un parti politique, des candidats sans charisme, sans valeur politique. Moralité de l’histoire : le mode de scrutin par liste a modifié la « lutte des classes » entre des partis historiques classiques dits de gauche, du Centre et de la Droite, en « lutte des places » infernale.
        Quel pays allons laisser-nous à nos enfants avec une « démocratie sans méritocratie »,  »une démocratie sans élite » à l’image des Partis Politiques frères ennemis (Gauche/ Centre / Droite et dérivés) qui présentent des solutions politiques invraisemblables pour des problèmes vraisemblables des communales qui ont besoin plus de matière grise que de matières premières, plus d’oiseaux rares que de moineaux, plus de faucons que de vautours, plus de grosses légumes que de navets, plus de cracks de la finance que de notables-crocodiles, plus de stratèges et de visionnaires des régionalisations que de primitifs prélogiques et d’élèves-présidents des arrondissements en apprentissage et en alternance pour 6 ans. La grande déception c’est d’avoir des communards élus, sans aucune valeur ajoutée pour la démocratie locale.
Question Le Reporter lecture faites-vous, en votre qualité de politologue, de ces élections communales du 12 juin 2009?
Pr A. FEKKAK : La campagne électorale n’est que le reflet des résultats des élections du 12 juin 2009. La mutation d’une société névrosée (qui se cherche son identité culturelle entre authenticité et modernité) répond à la mutation des partis, des politiques qui offrent cette image hydride. Rappelons-le, la société marocaine est une société bicéphale dont l’une est dite sociétaire et élitaire qui évolue pour faire face au bulldozer de la mondialisa tion, grâce aux partis modernes, considérés comme des microcosmes, porteurs des valeurs démocratiques et des valeurs de la méritocratie, porteurs de projets politiques de modernisme pour une société de confiance et moderne.
           L’autre type de communauté est resté au stade communautaire du moyen âge. Cette communauté est en retard d’un siècle en raison de la survivance archaïque de trois types de communautarisme idéologiques vivaces et effervescents : Makhzen, Marabout et Tribalisme. Ces communautarismes se caractérisent par le vote intuitue personae sur des candidats plus que sur la couleur d’un parti politique.
           Cette communauté sans conscience politique, est insensible aux expériences politiques du Maroc. Elle vote pour des nomades politiques sans éthique, sans éthos, sans transparence, Sans Domicile Politique Fixe (SPF). Elle est qualifiée par les sociologues de «communauté a-historique », non évolutive et non progressiste.
         Cette société bicéphale réunit toute une génération, en pleine crise d’adaptation successive qui cherche, sans les trouver, sans y être efficacement aidée, les moyens de réaliser la transition entre les méthodes de gestion caidale (des Caids travaillant à la dernière minute) et la gestion rationalisée des villes.
        Ces chiffres sont révélateurs : plus de 50% des élus sont des notables illettrés. C’est en partie ce qui explique, le risque de prolifération des partis politiques, avec comme résul- tat des courses électorales une « démocratie sans peuple » et l’abandon des élites absenté- istes qui ne se présentent pas aux élections. Seuls ont la chance d’être élus, les populaires et les notables « moul choukara » ploutocratiques qui achètent l’électeur aux prix estimé par le candidat et le vendent au prix du marché électoral. Les candidats éligibles, c’est une opportunité politique pour le votant, c’est une « Hamza » qu’il ne faut pas rater.
Question Le Reporter: Et votre commentaire par rapport au résultat du PAM ?
Pr A. FEKKAK : Ce n’est ni un hold-up des résultats électoraux, ni une confiscation politique d’une idéologie, mais la seule perdante : c’est la démocratie et la méritocratie. Comment peut-on admettre dans un pays démocratique un « Parti-bébé » doubler avec une vitesse vertigineuse à la fois les partis-dinosaures et les partis historiques, aussi ceux de la gauche, du centre et de la droite.
         Soit la société civile et politique est névrosée collectivement, soit schizophrène et sans mémoire historique. Soit la société marocaine a une dette vis-à-vis de l’Etat, et remet le compteur à zéro en donnant un capital de confiance et de crédibilité au PAM. Mais la chute aussi risque d’être dure si les énormes attentes n’étaient pas satisfaites. Comment expliquer cette situation inextricable à fois politique, sociologique qui n’est pas unique ? L’histoire nous rappelle les péripéties du FIDC, de l’UC, du RNI.
           L’analyse empirique interne des résultats, livrés par le ministère de l’intérieur», confirme ce que l’examen externe de la communauté populaire et la société élitaire laissait déjà prévoir. Il ne faut pas s’attendre à découvrir une stratégie politique exceptionnelle à développement exponentiel en période d’effervescence électorale.
          Les modes de participation que les partis politiques traditionnels ont légué, aux nouvelles générations, s’effacent derrière de nouveaux styles de vie des nouveaux partis avec une « générations spontanée » de sympathisants et de militants renégats des autres partis. Aucun domaine de la vie marocaine n’échappe à ce mouvement d’ensemble.
        A la fois politiques, économiques, culturelles, sociales, technologiques, idéologiques, religieuses, urbaines et rurales, toutes les mutations en cours présentent un caractère global et multiforme. Tous ces changements sociaux conduisent à la dérégulation des institutions politiques, à la dérégulation du marché électoral, à la dérégulation des nomades SPF.
         A l’épicentre de ces mutations se placent les partis politiques. Ils sont l’une des causes de cette situation politique et ils sont le reflet de la démocratie. La mutation des partis politiques répond à la mutation de la société marocaine bicéphalisée. C’est à l’esprit de la démocratie que l’on doit l’émergence les techniques nouvelles du «Maroc-keting politique », adaptée au contexte politique des citoyens urbains et ruraux récemment urbanisés.
Question Le Reporter :ce qui a fait, d’après vous, la différence entre les différents partis en lice ?
         La société marocaine est en train de prendre conscience des exigences radicales de sa modernité. Mais il n’y a pas de différence idéologique entre les partis politiques. Leur politique se base sur un fond d’un patrimoine commun religieux mobilisateur de l’ensemble des partis (certains l’utilisent plus que d’autres).
          Pour un parti politique marocain, se priver des certitudes traditionnelles et des croyances religieuses, c’est se jeter dans une aventure indéfinie et inquiétante. Supprimer les fondements islamiques de la vie sociale, c’est soit essayer de vivre et de penser sans garanties futures, soit chercher de nouvelles religions modernes, sans transcendance, telles que marocanisation/démocratisation, protectionnisme/libéralisme, régulation/dérégulation de l’économie, monocratie/démocratie…
            Le reflux de ces « religions horizontales », pour employer une expression d’Albert Camus, a laissé un vide que la modernité et l’authenticité recherchées ont comblé, par la croissance et l’inflation des partis politiques du Maroc et la transformation des modes de vie politique des électeurs.
           Que les partis soient libéraux, capitalistes, socialistes, socio-libéraux, partisans de la démocratie sociale, protectionnistes ou modernistes, les lois de la mondialisation de l’économique libérale circulent de la même façon dans le monde entier feignant d’ignorer les cultures identitaires des pays biodégradables. L’économie a donc sa propre philosophie.
          La dérégulation économique passe par la dérégulation politique et sociale au Maroc comme ailleurs. Le modernisme n’a pas de discours fondateur : c’est la raison pour laquelle il est difficile d’en définir les limites.
          La culture marocaine populaire semble avoir finalement trouvé dans le PAM un centre de la vie économique, une source d’un renouvellement qui va du Maroc agricole au Maroc industriel. Ce parti est sans doute, aussi, le plus extraordinaire phénomène culturel de la modernité et de l’authenticité.
          Le secrétaire général du PJD a qualifié de normaux les résultats des communales pour lesquelles ce parti a présenté des candidats dans le tiers des circonscriptions électorales seulement. Partagez-vous cet avis ? Quel est alors votre propre commentaire quant au résultat du PJD ?
            Il a parfaitement raison de qualifier les résultats de normaux. Après une période d’euphorie religieuse dans les structures du PJD où on a pu constater que grâce aux tests électoraux, les mystères des frères musulmans et du comportement des leaders talentueux du reste en communication politique, allaient enfin être percés. Est donc venu le temps de la non utilisation de la religion, non pas comme croyance, mais comme outil politique de mobilisation des masses populaires.
           Le PJD a fait peur à la société politique du Maroc. Le verdict électoral effraie les observateurs. L’ésotérisme politique inquiète les pays européens. Aujourd’hui, le PJD se positionne comme une couleur de l’arc-en-ciel politique, somme toute, comme les autres. Il veut aujourd’hui utiliser la sociologie politique et électorale comme l’ivrogne utilise le réverbère, non pas pour avoir une visibilité politique, mais pour s’appuyer dessus.
  Question Le Reporter: Le RNI sort renforcé des communales. N’est-ce pas là une surprise ?
     Pr A. FEKKAK : Avec l’exercice du pouvoir dans les différents gouvernements, le RNI s’est rajeuni, s’est intellectualisé. Il choisit ses militants, est ouvert et ne cherche pas à changer les valeurs de la société. Le parti a changé discrètement du socio-libéralisme sans douleur et sans larmes au profit de la social-démocratie.
        Le RNI est passé de l’ère du centrisme à gauche à l’ère de la gestion des lois du marché. Même l’électeur de l’USFP qui, misait sur la rose fanée du socialisme, vote aujourd’hui pour la colombe bleue de la social-démocratie. Il a ainsi l’assurance d’un parti stable. Le RNI est présent dans toutes les grandes villes, ce qui lui faisait défaut.
          Le socialisme rassure peu le patronat, l’ultra-libéralisme inhumain est dans l’opposi- tion. Mais, la vraie différence est, non pas entre le monde de la gauche (qui a besoin d’un bras droit) et le Wifak de la droite (très gauche), mais entre le socio-libéralisme (position confirmée) du RNI et la social-démocratie (non déclarée) de ce même parti. Les ultra-libé- raux ont tué le libéralisme humain comme l’USFP a tué le socialisme. Dans ce contexte, le RNI a de l’avenir.
           Son Président Mustapha Mansouri sera certainement le Premier ministre en cas de changement de Gouvernement (les communales, c’est comme une hirondelle, elle ne fait pas le printemps). Rappelons-le, le RNI occupe déjà les deux présidences des deux chambres parlementaires.